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Posts Tagged ‘Citoyen d’honneur de Seraing’

Mr. Alain Mathot, bourgmestre de Seraing, ma ville natale, m’a élevé ce vendredi au rang de citoyen d’honneur. A la cérémonie, à part ma famille et des amis avec lesquels j’avais gardé de contact au long des années, j’ai retrouvé des amis d’enfance que je n’avais pas revu depuis 53 ans et 48 ans et qui m’avaient rejoint sur facebook.
Un lien, le discours que j’y ai tenu et quelques photos.

http://www.lameuse.be/1768537/article/2017-01-21/seraing-le-dessinateur-et-caricaturiste-michel-kichka-devient-citoyen-d-honneur

De ma plus tendre enfance à mon adolescence, Seraing était le monde et la rue Molinay le centre du monde.
Les hauts fourneaux, les cheminées, les maisons ouvrières aux briques rouges noircies de suie étaient le décor.
La Meuse était noire sous un ciel gris, parfois c’était le contraire.
Notre jardin long et étroit où poussaient deux cerisiers, de la rhubarbe et des groseilles, était l’Eden.
Les terrils étaient l’Everest. Le bois des Biens Communaux était ma jungle.
Le carrefour des rues Cockerill et Ferrer, le coin de la banuqe, était Times Square.
Le wallon dont j’aimais imiter l’accent était la bande son.
La glace d’Agnoli fraise citron et vanille chocolat était annoncée au son du cor, ma musique préférée en été. J’en ai développé un réflexe pavlovien, quand on sonne le cor je salive.
Le terminus du tram qui me conduisait à l’Athénée était la dernière station avant la ligne d’horizon.
C’est là que le wattman tournait la flèche de son tram pour redescendre vers le bas de la ville. Il profitait de l’occasion pour uriner derrière son tram. C’est ainsi que j’appris q’un tram avait un arrière et un avant.
Le magasin de mes parents, Lucia Habillerie, était le microcosme de la ville. Les maris fumaient leur cigarette pendant que leurs femmes allaient et venaient dans la cabine d’essayage, les jours de paye de Cockerill Ougrée ou du charbonnage Collard.
J’ai vu par deux fois Eddy Merckx remonter le Molinay en tête du peloton les jours de braderie, au cours desquelles j’ai serré deux fois la main du bourgmestre Guy Mattot qui venait poser pour la photo annuelle avec tous les commerçants. Photos qui paraissaient dans le journal Encore un où j’ai publié mes premières BD amateur. Il parait que mes oncles descendaient le Molinay à trois sur la même trotinette.
J’ai fait partie du club de gym la Sérésienne, j’y ai remporté un trophée: une lampe de mineur en porcelaine.
J’ai joué au handball club de Seraing.
Je suis né à la Clinique Merlot, suis allé en première primaire à l’Ecole Morchamps et ai étudié quatre ans à l’Athénée Royale de Seraing. Plutôt trois ans. Car la quatrième année j’ai passé mon diplôme de flipper au café du Terminus.
J’ai publié quelques dessins dans la feuille de l’école En Avant! Quelques anciens de l’école m’ont rejoint sur facebook et je suis parvenu à retrouver Daniel Everard, mon ancien prof de dessin aujourd’hui disparu.
Tous les mercredi matins, je courrais avant la classe chez Bellens pour acheter Pilote et lire les histoires de Gotlib, Astérix, Lucky Luke, Blueberry et le Grand Duduche de Cabu. Je suis allé écouter Léo Ferré au Centre Communal, non loin de la bibliothèque publique où j’étais abonné.
Deux fois par semaine j’allais à Liège, participer aux activités du mouvement de jeunesse juive socialiste, la Jeune Garde. C’est par le mouvement que j’ai découvert Israel où je vis depuis 43 ans. La jeunesse était bel et bien en mouvement.
Seraing dans l’entre-deux-guerres fut l’Eldorado de mes grands-parents maternels qui avaient fui l’antisémitisme et de la misère de la Pologne. Ils ont prospéré dans le Seraing d’avant l’Occupation, d’avant la Shoah. Dans leur grand magasin, le Finalux, se croisaient prolétariat et bourgeoisie. Ils ont échappé à la botte nazie en se réfugiant en Suisse et sont revenus à Seraing après la libération. Mes oncles et tante ont tous grandi ici, des enfants du pays d’origine juive polonaise. La famille de mon père qui vivait à Bruxelles n’a pas eu cette chance. Mon père est le seul à a voir survécu à l’enfer concentrationnaire.
Né en 1954 je suis un produit du baby boum, de la construction de l’Europe, de la prospérité de la Wallonie d’avant Mittal.
Et qui dit Wallonie dit aussi francophonie. Le français est aussi ma patrie, ma culture de base, avec une couleur locale faite de belgicismes que ma femme française a mis quelque temps à assimiler. Entre les loques et les serpillères, les maquées fraîches et les fromages blancs, les septantes et les soixante-dix, sans parler des nonantes, les chiques sûres et les bonbons acidulés, il nous a fallu quelques malentendus pour nous mettre au diapason. D’ailleurs même le logiciel sur lequel je tape ce texte m’a souligné maquée en rouge!
En février 1974 j’ai quitté ma ville natale pour Jérusalem. Pour toujours. Pour de bon comme on dit ici. Sans claquer la porte, pour suivre ma destinée, retrouver mes racines. J’ai gardé une grande tendresse et un attachement profond pour Seraing et la Belgique.

En Israel dans mon CV, j’ai écrit que je suis de Liège, un demi mensonge, pensant qu’il y avait plus de chances que les israéliens aient entendu parler de Standard Liège que du F.C.Seraing. Mais depuis les frères Dardenne les choses ont sûrement changé.
Le Seraing que j’ai connu était une ville rouge, socialiste, comme l’était l’Israel des années 70. Le pays a beaucoup changé. Moi pas.
Quand on me parle du conflit israélo-palestinien qui n’a pas encore trouvé d’issue, je pense au conflit wallon-flamand qui est grosso modo au même point mort depuis que j’ai quitté la Belgique.
Quand j’ai créé mon roman graphique « Deuxième Génération » j’ai revisité mes souvenirs, album de photos et Google à l’appui, laissant libre court à ma mémoire visuelle et à mon imagination. Je me suis remémoré tous les magasins de la rue Molinay, tous les visages, tous les noms: Rychter, Owiezka, Narcys, Kellens, etc. Nous habitions à côté de la boulangerie Kellens. J’adorais regarder travailler Christian entre le pétrin et les fourneaux, les gaufres et les cacafounias. Encore un mot qui a été souligné en rouge. Cigarette au bec, pas rasé, blanc de farine, il me donnait les chutes des gaufres au gros sucre. L’odeur du pain chaud est un parfum qu’on n’oublie jamais! Marie toujours souriante derrière son comptoir me filait des bonbons en cachette et n’a jamais révélé à ma mère qu’une partie de mon argent de poche passait chez elle en sucreries et autres gâteries. Il y avait aussi Jean, discret et souriant, plongé dans le Mahabarata en sanscrit dans le texte. Il avait son besoin d’Orient. Pour ma part, je me suis contenté du Moyen-Orient.

Etre accompagné à Seraing par une équipe de cinéma polonaise est très touchant. C’est une énorme boucle qui relie sur 90 ans la Pologne, la Belgique, Seraing, Israel, Jérusalem et Cracovie, avec mon père comme témoin vivant et présent, avec ma soeur Irène, avec ma famille, mes amis d’avant et d’aujourd’hui.

Aujourd’hui, ici en ce lieu, pour cette cérémonie, avec vous tous autour de moi, je me sens en famille. Les amis sont les mêmes, la famille aussi bien que réduite, et le bourgmestre est toujours Mathot. Comme si rien n’avait changé. Comme si le temps s’était figé. Mais il ne faut pas s’y tromper. Tout a changé! Tout, sauf le passé. Et son écho dans notre présent.

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