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Posts Tagged ‘Adieu Gotlib!’

Adieu Gotlib!

Gotlib, un de mes Maîtres vient de s’éteindre!
Je remets ici en ligne cet article que j’avais rédigé sur lui et son art, en Mars 2014, pour la Commission Culture juive de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
De laïc à laïc, je ne peux pas dire Dieu ait son âme. Alors, au moins, qu’il repose en Paix!

Mon Gotlib par Michel Kichka

Les fans de Gotlib des années 60, 70 et 80, ceux qui suivaient assidûment la Rubrique-à-brac, les Dingodossiers, Gai Luron, Hamster Jovial, Superdupont, la coccinelle, l’Echo des Savanes et Fluide Glacial, étaient loin de se douter que le créateur qu’ils adulaient avait été un petit enfant juif caché pendant la guerre, dont le père avait été déporté et exterminé à Buchenwald.

Son humour décapant qu’ils prenaient pour « gaulois » était au demeurant un humour puisé aux sources du Mad Magazine new-yorkais, fleuron de l’humour juif américain des années 50. Ils ignoraient aussi, j’en suis certain, que le scénariste de la Rubrique-à-brac, un autre joyau de l’humour français, était un juif d’origine polonaise dont la moitié de la famille avait péri dans la Shoah, et qui avait dû sa survie au fait que l’autre partie de sa famille avait émigré en Argentine « à temps ». Je veux parler de René Goscinny, le papa d’Astérix, la bande dessinée à succès, mondialement reconnue comme la plus française de l’histoire du 9 ème Art. Il était aussi le papa du Petit Nicolas, un autre petit français mondialement célèbre et lu dans toutes les écoles de la République. (Et qui vient d’être traduit en yiddish!) A l’âge de 12 ans, quand je me suis abonné à Pilote pour dévorer goulument leurs planches hebdomadaires, j’étais loin de me douter que ce tandem unique était lié par un passé commun. Un passé qui rejoignait le mien.

L’oeuvre de Gotlib a tout de l’humour juif galoutique: la dérision, l’auto-dérision, l’absurde, l’exagération, un côté verbal excessif, un besoin effréné de rire et de faire rire. Tels étaient les matériaux dont Gotlib s’était construit une carapace à peine plus épaisse que celle de sa coccinelle. Il a choisi l’humour comme thérapie inconsciente pour effacer le traumatisme d’une enfance volée, passée dans le non-dit et le sentiment de culpabilité et dont le souvenir apparaît en filigrane entre les cases de « Chanson aigre-douce », la seule histoire où il évoque explicitement la vie d’un petit garçon caché chez des paysans à la campagne, et qui s’avèrera beaucoup plus tard être le petit Marcel Gottlieb. Le regard acerbe et critique de Gotlib est teinté d’une profonde tendresse et d’une grande sensibilité poétique. Le graphisme de son écriture manuscrite est celle d’un élève appliqué. C’est celle du petit Marcel né en 1934 et scolarisé en pleine guerre.

Gotlib est un des premiers auteurs de BD, si pas le premier, à s’être mis en scène dans ses histoires, se ridiculisant plus qu’il ne se mettait en avant. Il a également souvent mis René Goscinny en scène, son rédac-chef à Pilote, dans ses enquêtes-pastiches des Cinq Dernières Minutes, toujours dans le rôle de l’assassin. Une manière bien gotlibienne d’exprimer son attachement et son admiration.

Le célèbre Professeur Burp est un néo-tamudiste bavard à outrance, spécialiste de « pilpoul », qui a réponse à tout. La coccinelle est l’alter ego de l’auteur, elle se met en marge de la case, et réagit par le geste, par la parole ou par les deux, à ce qu’écrit et dessine Gotlib, qui est en soi une réaction de l’auteur au thème qu’il s’est donné. Commentaire de commentaire. Hamster Jovial quant à lui est l’anti-Tintin par excellence, lui-même héritier de Totor, Chef de la Patrouille des Hannetons, créé par Hergé en 1929 pour le Petit Vingtième. Hamster Jovial, créé en 71 par Gotlib pour la revue Rock and Folk, est une parodie de chef scout, féru de musique rock, et entouré de louveteaux aussi précoces que pervertis. Il est à l’antipode du boy-scout catho irréprochable, à l’âme pure et pudique. Cette tendance à l’extrême dans l’écriture de Gotlib est une caractéristique que l’on trouve souvent dans l’humour juif, par exemple chez Woody Allen à ses débuts, chez les Frères Marx ou encore Sienfeld. Et dans Mad Magazine animé par l’équipe de Harvey Kurtzmann, Will Elder, Jack davis, Mort Drucker,…

En fondant l’Echo des Savanes en 1972 avec Brétecher et Mandryka, Gotlib s’offre une plateforme idéale pour pousser à l’extrême sa tendance iconoclaste, sans rédac-chef par dessus la tête, et il y donne libre cours à son imagination, à ses phantasmes et à son irrévérence, héritage de l’après Mai 68. Il suffit de relire le récit du cocktail party des dieux de toutes les religions, qui dans un décor céleste se saoulent dans une beuverie festive, ponctuée de rots et de pets et qui se termine en orgie et vomissements. Une bd hautement blasphématoire qui ne trouverait probablement pas d’éditeur assez courageux ou assez suicidaire aujourd’hui.

L’ironie est que Gottlieb signifie « aimant Dieu »!

L’apport de Gotlib à la BD francophone post-soixante-huitarde ne s’arrête pas là. Après L’écho des Savanes, il crée Fluide Glacial en 1975, qui tient la route depuis bientôt 40 ans, avec son humour décalé et libertaire. Des générations d’auteurs y ont fait leurs armes et se revendiquent post-gotlibiens. Toute une BD franco-belge voit en lui un père spirituel (dans les deux sens du terme). Mais celui qu’ils voient est Marcel Gotlib, l’adulte. Alors que le feu qui vit en lui est celui du petit Marcel persécuté, traumatisé qui se bat contre ses démons par un humour contagieux.

Toute l’oeuvre de Gotilb est intimement liée à ses origines juives alors qu’il ne les revendique pas sciemment dans sa création. Il est intéressant de noter que cet humour n’était pas perçu comme juif, mais plutôt comme français, ce qui illustre parfaitement son universalité.

Gotlib est un exemple singulier d’intégration. Mieux, de fusion.Car il a conservé les racines de sa différence. Il est aussi une manière autre d’être juif en France, une façon très belle à mes yeux, une forme en voie de disparition à l’ère des replis communautaires. Il serait plutôt dans l’exhibitionnisme narcissique que dans l’enfermement sur soi. Tout en lui est ouverture sur le monde. Sa carrière et sa vie sont un exemple d’ intégration. Et c’est cette fusion qui fait la richesse de la France où tant de grands créateurs ont été des enfants issus de l’immigration. Il est l’expression de la France plurielle à laquelle nous devrions tous aspirer. L’exposition me paraît être un projet fédérateur par excellence.

L’exposer offre une rare opportunité de le redécouvrir, de le faire découvrir, de le lire ou le relire. A ses débuts la BD était une forme d’artisanat un peu ésotérique pour enfant et adolescents. Par lui elle a accédé à l’âge adulte, a acquis ses lettres de noblesse et gagné le statut de Neuvième Art.

Gotlib est un des créateurs qui m’a le plus marqué et influencé. Le lire chaque semaine dans les années d’adolescence a été une jubilation rare et m’a renforcé dans ma vocation et dans ma trajectoire professionnelle. Que le Musée d’Art de d’Histoire du Judaïsme lui rende hommage est justice historique.

En illustration, un case de Gotlib et une case de ma BD où je lui fais un clin d’oeil!

 

 

 

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