Article que j’ai écrit récemment pour le magazine francophone culturel israélien « A la page ».
Cela fait une année que le monde entier se bat contre un virus invisible qui est à l’origine d’une pandémie inédite qui nous a tous précipités dans des confinements, des couvre-feux, des quarantaines et des deuils par millions. Mais un autre virus qui sévit depuis plus de vingt ans, invisible lui aussi, fait également des ravages partout où il passe. Il s’appelle le « Politiquement Correct » que j’abrégerai par PC. Force est de constater que la majorité des gens semblent s’y être habitués, à « vivre avec » comme on dit. Il émane de la société américaine et a fini par déteindre sur monde entier. Pour définir le PC, le mot le plus proche semblerait être « bienséance », terme pour lequel le dictionnaire donne également « savoir-vivre » et « décence ».
Je conteste le terme « savoir-vivre » de façon catégorique car le PC nous empêche justement de vivre, d’user de notre sens critique, d’émettre des opinions non consensuelles, d’outrepasser les limites étriquées de la sacro-sainte décence, de la politesse hypocrite, de la langue de bois, de ne pas caresser son auditoire ou son lectorat dans le sens du poil, de prendre le risque de déplaire. Le PC est un mot écran derrière lequel se cache la censure, l’intolérance, la mesquinerie, l’étroitesse d’esprit. Esprit qu’on qualifiait jadis de petit-bourgeois. Un esprit qui tue l’esprit.
Les extrémistes du PC, les orthodoxes de cette doxa, les adeptes de la pensée unique, les inconditionnels d’un monde lisse sans aspérités, ne connaissent qu’un seul sens du mot « spirituel » qui a pourtant un double sens. Deux sens considérés comme contradictoires: l’un relatif à la religion, à l’Eglise, l’autre relatif à l’esprit, au mot d’esprit, à l’intelligence de l’humour.
Pour moi ces deux sens ne sont pas contradictoires car Dieu, s’il existe pour certains, est une vaste blague pour d’autres. Pour croire en lui, il faut une certaine dose d’humour. S’il a créé l’Homme à son image, il suffit de regarder les gens autour de soi pour comprendre qu’il ne manque pas d’ironie ni d’autodérision. Si un de ses préceptes est « Aime ton prochain comme toi-même » et que le monde est fait de tant de narcissiques incapables d’aimer quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes alors que tant d’autres se détestent, il ne doit pas manquer d’un humour complètement décalé.
Pour en venir à mon métier, la caricature est ma manière de lutter contre le PC ambiant. L’irrévérence, l’insolence, la provocation, le culot sont pour moi des atouts précieux qui me servent de levier pour soulever à l’aide de mon crayon la chape de plomb qui pèse sur tous les dessinateurs de presse dans ce 21ème siècle qui était censé avoir encore un peu évolué depuis que le métier existe. Le dessin de presse est devenu la cible première des bigots du PC. Pourtant sa principale qualité est de nous faire rire ou sourire et même de rire jaune, de notre propre condition, de nos dirigeants et surtout de nous-mêmes. Pour ce faire il faut comprendre qu’un dessin se lit au second degré, là où commence l’intelligence de l’humour. Un dessin n’est pas une photographie, il exprime clairement une opinion et c’est en cela qu’il dérange si souvent. Voir, entendre, accepter une opinion différente de la sienne nécessite un minimum d’ouverture d’esprit, chose que les coincées du PC refusent dans leur monde qu’ils veulent sans vagues et sans remous. Le PC est soumission, l’humour est remise en question.
La caricature est devenue le punching-ball des ennemis de l’humour. Des grands journaux appartenant à des organes de presse puissants publient des caricatures dans leurs pages d’opinion puis, face à des attaques massives sur les réseaux sociaux, orchestrées par des armées d’internautes et d’algorithmes, retirent des dessins de leur site en publiant des excuses à leurs lecteurs. Ce nouveau tribunal de la rue, cette soi-disant « démocratie directe » qui condamne les cartoonistes, parfois à mort et sans aucune forme de procès, sont une menace que les rédacteurs en chefs, les magnats de la presse doivent combattre. Si aujourd’hui les dessinateurs sont ciblés, demain viendra le tour des journaux. Les contre-vérités, les post-vérités et les fake news alimentées par des théories conspirationnistes se substitueront définitivement au devoir d’informer et au droit de savoir.
La norme déontologique et morale d’un journal a toujours été de défendre les journalistes et les dessinateurs auxquels ils ouvrent leurs pages. Le New York Times en 2020 et Le Monde en 2021, pour ne citer que ces deux quotidiens majeurs de la presse libre mondiale, ont failli à leur rôle. Un journal se doit d’assumer ses choix éditoriaux, un dessin ne se glisse jamais par erreur ou par hasard entre ses pages. Le contrat moral qui lie le journal au dessinateur implique un dialogue continu entre les parties et une médiation en cas de couac. Sans cette éthique de base, la presse déjà en crise de survie face aux GAFA qui lui volent ses contenus en toute impunité, est en train d’enfoncer les derniers clous dans son propre cercueil et d’enterrer sa raison d’être qui est d’être le chien de garde de la démocratie, un miroir et souvent un rempart face au pouvoir. La satire et la caricature, sources d’oxygène de nos sociétés anxiogènes, gisent sur leur brancard, abandonnées à elles-mêmes dans le couloir des urgences.
Entre des excuses balbutiées à des lecteurs potentiellement blessés et le droit de dessiner la réalité et d’en rire, mon choix est clair, définitif, irrévocable.

Entièrement d’accord avec toi et je salue les caricaturistes, qui comme toi et pour certains au péril de leur vie, continuent à se battre pour ce droit au politiquement incorrect.
Merci beaucoup pour ta réaction Micha. Quand les vieux disaient « C’était mieux avant » on les accusait d’être des radoteurs. Maintenant que la société nous compte parmi ses veiux, on peut enfin dire sans complexe et sans hésitation « C’était mIeux avant ».
Que Dieu, s’il existe,t’entende.Peut-etre qu’avec son son sens de l’histoire il mettra fin au PC comme il l’a fait avec avec l’autre, le Parti Communiste. Puis-je partager ton message et ton dessin?
Bravo
Merci Dan, bien sûr, partage, partage!
PC c’est aussi Parfaitement Crétin ou Particulièrement Con! Le recul de la Pensée Critique comme me l’a écrit un internaute.
*Oh que c’est bien dit ! Nous adorons vos dessins ! Merci ! cher Michel et de* *tout coeur ! Esther et Etienne Kervyn .*
Entièrement d’accord avec toi Michel. Quel bel article !!! Brovo