Je suis CHARLIE
01/07/2020 par Michel Kichka
Je suis CHARLIE et je le reste!
Cinq années sont passées depuis le massacre de l’équipe de Charlie Hebdo et je ne compte plus le nombre de fois que j’ai évoqué la mémoire de mes amis dessinateurs, mes chers disparus irremplaçables.
Je viens de répondre à une interview pour Culturama dont voici le texte
LES FANTASSINS DE LA DÉMOCRATIE
Michel Kichka |
|
Eric de MA’A* : Après l’attentat du 7 janvier 2015, vous affirmiez que tous les dessinateurs politiques étaient les fantassins de la démocratie et que Charlie Hebdo en était l’avant-garde ; c’est pourquoi nous leur devons une dette « incommensurable ». Depuis presque 5 ans, pensez-vous que l’on a pu s’acquitter de cette dette ? Ou au contraire, la tendance serait-elle à la censure, à l’instar de la décision du New York Times de ne plus publier des dessins de presse politique ?
Michel Kichka : Cela ne date pas du massacre à Charlie Hebdo, les caricaturistes sont des « fantassins de la démocratie » par définition. Au XIXème siècle, les dessinateurs de presse l’étaient malgré eux, avant d’en prendre conscience et que cela ne devienne pour tous une évidence. |
Le documentaire « Caricaturistes-fantassins de la démocratie » de Stéphanie Valloatto et Radu Mihaileanu sélectionné au Festival de Cannes en 2014 a été pensé et réalisé bien avant janvier 2015. Aujourd’hui, partout dans le monde, le dessin de presse est sous le feu croisé des rédactions des journaux, des actionnaires des médias, des réseaux sociaux, des politiques dans les régimes démocratiques ou non. |
|
Un feu croisé et nourri qui comprend ces cinq dernières années (pour ne pas remonter jusqu’à Daumier), des licenciements abusifs, des ruptures de contrat, des censures, des emprisonnements, des poursuites judiciaires, des agressions physiques, des fatwas, des menaces anonymes de mort, des tentatives d’assassinat et des assassinats dans des pays tels que les USA, le Canada, la France, la Turquie, l’Algérie, le Maroc, Israël, la Malaisie, l’Inde, le Danemark, le Venezuela, le Nicaragua, l’Équateur, la Guinée Équatoriale, la Syrie, la Jordanie, l’Égypte, l’Allemagne, le Kenya. La liste est longue, et j’en passe. Nous sommes face à un phénomène qui gangrène la liberté de dessiner où se mêlent intérêts politiques et commerciaux dans un mélange nauséabond de cynisme et de haine violente. Les réseaux sociaux ont quelque part libéré la parole, encouragés par la logorrhée des tweets des dirigeants et les fake news des cyber-pirates. |
|
Si on ajoute à cela la décision regrettable du New York Times de ne plus publier d’illustrations suite à la polémique soulevée par le dessin d’Antonio, se dessine un triste tableau de la réalité du métier en ce début de XIXème siècle. Mais il y a aussi les bonnes nouvelles. Les dessinateurs que je mentionne sont menacés parce qu’ils ont décidé, comme la majorité de leurs collègues de par le monde, de ne pas baisser la garde, de ne pas céder, de prendre des risques, de s’exposer, de ne pas avoir peur, de ne pas se taire, de ne pas faire l’autruche, de ne pas renoncer à leur vérité, et de continuer, tels des fantassins sur un champ de bataille, de charger aux premières lignes, avec un crayon pour seule arme et leurs convictions comme munition. Une solidarité sans frontières nous unit tous dans ce même combat pour la liberté d’expression qui est aussi une lutte acharnée pour les droits de l’Homme et pour la démocratie. |
|
Eric : Sous ce feu croisé, les dessinateurs de presse sont majoritairement traités comme des éléments politiques indésirables. Considérez-vous ce traitement comme un frein ou un moteur à la créativité ?
Michel : Je ne dirais pas que les dessinateurs sont majoritairement traités comme des éléments indésirables. Mais beaucoup le sont, et de plus en plus souvent. C’est un fait. |
Fort heureusement la réaction des acteurs de la profession, y compris de ceux qui sont les victimes directes des menaces et des condamnations, est de ne pas baisser la garde, de dessiner avec plus de hargne et de combativité, et ils ont très souvent le soutien de Cartooning for Peace ou d’autres associations de cartoonistes de par le monde. Des alertes sont lancées sur les réseaux sociaux, des dessins de soutien sont mis en ligne et repris par différents médias, des avocats bénévoles les défendent en justice, des prix leur sont parfois remis pour leur courage exemplaire, et s’ils n’ont pas d’autre choix, les dessinateurs s’exilent et continuent leur travail ailleurs en attendant un changement de régime ou la chute d’un dirigeant. Dessiner est pour nous, dessinateurs de presse, une fonction vitale, un organe vital. La censure et les condamnations sont finalement contre-productives. Les exemples sont nombreux, Charlie Hebdo s’est relevé de ses cendres, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. |
|
Eric : Quelles sont les réactions « contre-productives » qui vous ont le plus marqué ? Comment ont-elles été surmontées ?
Michel : Ce que l’on appelle communément « l’Affaire du New York Times », c’est-à-dire le retrait de la caricature d’Antonio et l’arrêt de la publication de cartoons dans son édition internationale, ont suscité une avalanche d’excellents dessins condamnant le journal, prenant la défense de la liberté d’expression, critiquant la décision peu courageuse du journal, son refus d’assumer ses responsabilités et ses choix éditoriaux et son manque de soutien aux dessinateurs, puisque le journal a rompu le contrat qui le liait à Chappatte et à Heng. Des dizaines de dessinateurs partout dans le monde ont réalisé une parodie du dessin incriminé d’Antonio. |
Je me suis moi-même prêté au jeu avec jubilation en dessinant quatre variantes. De nombreux articles de qualité ont été publiés sur papier et sur la toile. Tous ont mis en évidence le peu de crédibilité du NYT, une bien mauvaise pub pour ce prestigieux journal fondé en 1851 et riche de 112 Prix Pulitzer. Un autre exemple est l’abondance des dessins réalisés en soutien à Charlie Hebdo après le terrible massacre du 7 Janvier 2015. Les terroristes ont voulu réduire le journal à néant et le résultat fut que son tirage atteignit plusieurs millions d’exemplaires pendant les semaines qui suivirent et le rendirent célèbre dans le monde entier alors qu’il n’était plus lu que par quelques dizaines de milliers de lecteurs en France. Le journal a reçu le prix « Courage et Liberté d’Expression » de la part de l’association internationale d’écrivains PEN aux États-Unis. Beaucoup de dessinateurs osent aller plus loin dans leurs dessins, une contre-réaction saine et salutaire. |
|
|
Pour arrêter le racisme, il faut en parler | Michel Kichka© |
|

J’aime ça :
J’aime chargement…
Articles similaires
Publié dans Cartoons | Laissez un commentaire
Votre commentaire