Le New York Times scie la branche sur laquelle il a assis sa réputation
L’édition internationale du NYT ne comportera plus de dessins politiques. Cette annonce laconique du journal résume parfaitement l’époque que nous vivons.
Tout a commencé fin Avril, par la publication d’un dessin d’Antonio Antunes qui a soulevé une vive polémique: Netanyahou en chien portant une étoile juive au collier et tenu en laisse par Trump aveugle affublé d’une kippa. Sommes-nous face à un cartoon antisémite ou à une critique légitime de la politique des deux dirigeants. Quelle que soit la lecture que l’on puisse en faire, les réactions véhémentes émanant de la communauté juive américaine et aussi d’Israel ont eu raison de ce dessin. Le journal papier ayant déjà été mis en circulation, NYT l’a retiré de son site, le journal s’est fendu d’une excuse honteusement faiblarde, l’épouvantail de l’antisémitisme a été brandi, le Syndicat de cartoons qui collabore avec le journal depuis une vingtaine d’années a été “remercié” sans appel, l’auteur portugais du dessin a reçu une pluie d’injures et de menaces sur les réseaux sociaux et le journal s’est désolidarisé du dessinateur qu’il avait publié la veille dans ses pages d’opinion. Comble des combles, les cartoonistes Chappatte et Heng sont finalement congédiés à cause d’un dessin dont ils ne sont pas les auteurs!
NYT annonce qu’il ne publiera plus de dessins politiques. On peut donc tout écrire dans le style journalistique le plus cru mais on ne peut pas tout dessiner. Un dessin fait plus peur que des mots. Car des mots une fois lus peuvent être oubliés, on peut ne pas aller au bout d’un éditorial qui énerve, mais l’impact visuel instantanné d’un dessin est difficilement effaçable.
La caricature politique est née avec la presse, incarnation de la liberté d’expression, baromètre de la démocratie. Journalistes, rédacteurs en chef, éditeurs, dessinateurs sont tous garants et gardiens de la libre information, de la survie de l’enquête, de l’analyse et de la critique, du débat d’idées, de la libre opinion, du droit du public à être informé. Des avancées considérables ont permis à la presse de devenir l’oxygène de nos sociétés libres.
Ce qui vient de se passer à New York est une régression très inquiétante. D’autant plus inquiétante que ce journal prestigieux fondé en 1851et couronné de 122 Prix Pulitzer, a plus de trois millions et demi de lecteurs en ligne.
Le dessin de presse est irrévérencieux, provocateur, culotté, effronté par nature. C’est en tout cas ce que le lecteur attend de lui car il aime être bousculé dans ses certitudes et son relatif espace de confort. Il est quelque part l’électron libre de la presse, son enfant terrible. C’est le dessinateur qui délimite ses propres lignes rouges, selon sa capacité à s’exprimer, son sens des responsabilités et son courage. Mais pas seulement. La confiance et le soutien que lui assure son organe de presse est primordial.
Le cartooniste est un équilibriste qui ne peut pas travailler sans filet.
Mais l’apparition des réseaux sociaux a changé la donne. L’illusion de “démocratie directe” qu’ils offrent aux utilisateurs ressemble étrangement à une nouvelle forme de dictature, redoutable ennemie de la liberté d’expression et de la liberté tout court. Des lynchages virtuels ont lieu chaque jour sur les réseaux. Il n’est plus question d’une menace contre les cartoonistes mais contre la presse entière. Ces dernières années, des dessinateurs se sont vus licenciés de leur journal, jetés en prison, forcés à s’exiler et à demander l’asile politique, sans parler de mes amis de Charlie Hebdo assassinés. Un vent mauvais s’est abattu sur le dessin de presse et le journalisme. Les résultats sont bien visibles. Mais personne ne sait où et quand il s’arrêtera.
Le dessin en question, décryptage
Je soutiens et je défends la liberté d’expression d’Antonio. Les cartoonistes israéliens dont je suis, sont les premiers à critiquer Netanyahou et sa politique. Par contre aucun de nous ne l’a dessiné avec une étoile de David au cou ou ailleurs, étoile qui désigne tantôt “juif” et tantôt “israélien”, parfois les deux. Signe religieux ou symbole national dans le contexte du drapeau. Certes, Israel fut créé comme Etat Juif mais il est aussi le pays des israéliens musulmans, chrétiens, druzes et cherkazis. Quand on critique Israel il faut le faire avec intelligence et une certaine prudence car les caricatures antisémites du siècle dernier sont encore présentes dans les esprits. Elles ont fait des ravages, ont véhiculé des stéréotypes imaginaires, démoniaques et haineux. En temps de crise et d’instabilité elles refont toujours surface.
L’étoile de David au cou de “Bibi” et la kippa sur le crâne de Trump étaient-elles vraiment nécessaires à la compréhension du message? Pas vraiment, le dessin marche très bien sans elles. Trump est-il réellement un aveugle que Bibi mène par le bout du nez? Rien n’est moins sûr. Israel domine-t-elle le monde? C’est ce que Hitler disaient des juifs. L’étoile de David et la kippa font-elles de ce cartoon un dessin antisémite? Je ne pense pas, mais l’ambivalence du dessin le rend problématique.
Il peut avoir deux lectures contraires. On peut considérer d’une part, qu’il alimente l’obsession antisémite ancestrale et se fait l’écho, conscient ou non, des théories conspirationnistes anti-juives sorties en ligne droite des Protocoles des Sages de Sion. On peut par ailleurs considérer que l’étoile et la kippa sont une critique acerbe qu’Antonio adresse aux deux hommes d’état qu’il abhorre pour ce qu’ils incarnent et pour la politique qu’ils mènent au Moyen Orient.
Il ne faut pas oublier qu’un dessin de presse doit se lire d’emblée au second degré. Le dessinateur et le lecteur sont liés par une sorte de “contrat” tacite signé par un clin d’oeil complice. La clé d’accès au second degré est faite d’humour et d’intelligence.
Alors où est le problème? Il y a deux problèmes. Le premier est lié au contexte actuel qui voit une montée constante des actes antisémites partout dans le monde, et plus particulièrement en France et aux Etats Unis, parallèlement à la montée des droites nationalistes xénophobes décomplexées. Le second est lié à la panique de la grande presse face à ce climat délétère, à son angoisse existentielle profonde de se voir désertée par ses lecteurs abreuvés de tweets et de fake news. Il y a un siècle, un tel climat pouvait dégénérer en guerre. Aujourd’hui je propose un ordre de mobilisation générale des dessinateurs de presse.
Bravo Michel
Continuez
Honte aux munichois de toutes sortes
Merci François!
Quel bonheur de te lire ici, Michel ! Et si juste. Contrairement aux journal, toujours prêt à reprocher à son dessinateur une faute imaginaire au nom d’une paix des esprits bien fallacieuse. Courage, fuyons !
Merci Clou! Amitié!
Merci, cher Michel, de me transmettre cette importante analyse. Bon courage! Amitiés, Guy
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Merci beaucoup Guy! Nous qui avons connu le monde d’avant comprenons mieux que la jeune génération ce que nous sommes en train de perdre! Je t’embrasse! Michel