« Tintin et le Thermozéro », l’œuvre inachevée d’Hergé
Le Monde.fr | 17.07.2015 à 11h43 • Mis à jour le 19.07.2015 à 13h13 | Par Frédéric Potet et Cédric Pietralunga

Ceux qui ont eu la chance de les voir en parlent avec des trémolos dans la voix. Ce sont huit pages crayonnées « parmi les plus belles » jamais réalisées par Hergé. Elles sont les pièces maîtresses de ce qu’il reste de Tintin et le Thermozéro, projet inabouti que le maître entreprit à la fin des années 1950. L’ensemble du matériel – ces planches, des dizaines de croquis, pages d’études et autres scripts dactylographiés – dort dans un coffre-fort. Jusqu’à quand ? Verra-t-on un jour un vingt-cinquième album des aventures du reporter, dans le moule de Tintin et l’Alph-Art, histoire inachevée publiée en 1986, trois ans après la mort de son créateur ? Seule certitude : la matière est là.
Récit d’espionnage sur fond de guerre froide, Tintin et le Thermozéro avait sa place dans cette période où Hergé tutoyait les sommets. Le dessinateur y crut. En 1957, il a terminé Coke en stock et traverse une crise profonde en raison de sa séparation avec sa première femme, Germaine. La lecture d’un article de Philippe Labro dans Marie-France attire son attention : il y est question de deux familles américaines devenues « radioactives » après le bris accidentel d’une pilule. Une trame se met en place dans son esprit. Un premier synopsis est ébauché sous le titre « La boîte de Pandore », mais l’histoire s’avère trop classique pour le Hergé tourmenté d’alors. Celui-ci préférera satisfaire son besoin d’épure dans ce qui sera son œuvre la plus intime, Tintin au Tibet.
Une course-poursuite hitchcockienne
Il y revient toutefois près de deux ans plus tard en demandant à l’un de ses collaborateurs, Jacques Martin, l’auteur de la série « Alix », de densifier son synopsis. Le résultat ne le satisfaisant pas, il sollicite Greg, scénariste des « Achille Talon », « Bernard Prince » et « Luc Orient », alors chargé de superviser les dessins animés inspirés des aventures de Tintin. Payé 50 000 francs belges, comme s’en souvient Roger Leloup, ex-collaborateur des Studios Hergé, Greg va écrire deux variantes : la première intitulée « Les pilules », la seconde « Le Thermozéro ». La structure du récit est celle d’une course-poursuite hitchcockienne.
Des espions ont subtilisé un mystérieux produit destiné aux « futurs explorateurs de l’espace ». Ce composé chimique, le « Zero heating », peut déclencher une forte chaleur là où il n’y a pas d’oxygène, comme sur la Lune. Activé sur Terre, il embraserait les molécules de l’air. « Où se trouve-t-il maintenant, cet échantillon à côté duquel une bombe H n’est qu’un inoffensif pétard ? », lance Tintin, qu’un accident de voiture a mêlé à l’intrigue, sans deviner que la fiole a été glissée dans son imper.
Hergé va y croire, donc, mais pas longtemps. Il saborde l’amorce de l’histoire, que Greg a fait commencer à Naples, afin d’attaquer avec la scène de l’accident de voiture. Il n’apprécie pas plus l’épilogue révélant que l’inventeur du Thermozéro n’est autre que le professeur Tournesol. Surtout, il étouffe dans un scénario qui n’est pas de lui, comme il le confiera à l’écrivain et scénariste Benoît Peeters : « Je me sentais prisonnier d’un carcan dont je ne pouvais me défaire. Or, j’ai besoin d’être constamment surpris par mes propres inventions. »
Si l’extrême rigueur de son style ligne claire ne l’indique pas, Hergé est d’abord un « feuilletoniste dans l’âme », comme le rappelle Benoît Peeters : « Son processus de création s’apparentait à la croissance du lierre qui suit les aspérités du mur et bifurque selon l’ensoleillement. Il n’aimait pas vagabonder derrière les idées des autres. » Le scénario de Greg va s’avérer « trop ficelé, trop construit, trop imbriqué pour être déconstruit », poursuit l’auteur du Monde d’Hergé (Casterman, 1990).
Un scénario qui le désarçonnait
Le père de Tintin entretenait alors des relations complexes avec les membres de son équipe. « Il avait une très haute estime de ce qu’il faisait, se souvient Roger Leloup, 81 ans, l’auteur de Yoko Tsuno. Si nous l’aidions pour les décors, les accessoires, jamais il n’aurait laissé Tintin entre les mains d’un autre. Un jour, Jacques Martin et Bob de Moor avaient profité de son absence pour réaliser une planche de Tintin afin de lui montrer qu’ils en étaient capables. A son retour, Hergé est entré dans une de ces colères : “Quand je ne suis pas là, on ne dessine pas Tintin !” »
Est-ce la peur de se « pasticher » qui a fait reculer Hergé avec ce Thermozéro taillé sur mesure ? « Ce scénario le tirait vers l’arrière, l’empêchait d’évoluer alors qu’il voulait repartir de zéro, estime Benoît Peeters. C’est l’époque où il quitte sa femme, se passionne pour l’art contemporain, fréquente des gens plus jeunes avec sa nouvelle compagne, Fanny. Hergé ne veut plus faire Tintin comme avant. Il perd cette foi première qui fait les grands conteurs. »
Une publication devenue introuvable
Le projet est de nouveau mis de côté : en 1960, un vol de bijoux appartenant à Sophia Loren sur le tournage des Dessous de la millionnaire lui inspire un autre récit – plus ambitieux puisque respectant les trois unités du théâtre (temps, lieu, action). Ce sera Les Bijoux de la Castafiore. Hergé n’oublie pas l’idée du Thermozéro, pensant la recycler pour une aventure de Jo, Zette et Jocko. Celle-ci ne verra pas plus le jour.
Une malédiction pèserait-elle sur cette non-histoire ? « Ce serait une erreur qu’elle ne soit jamais publiée sous une forme ou une autre », plaide en tout cas Philippe Goddin, président de l’association Les Amis de Hergé et auteur d’une biographie en sept tomes. La veuve du dessinateur, Fanny Rodwell, s’est longtemps opposée à tout projet éditorial au motif que son mari n’avait pas réussi à terminer ce récit de son vivant. « Je suis certain que s’il avait pris le temps de trouver une bonne dynamique narrative, il en aurait fait une excellente histoire », affirme Philippe Goddin.
Rassemblées par Benoît Peeters, les huit planches crayonnées de Tintin et le Thermozéro et l’ensemble du matériel préparatoire ont pourtant été déjà publiés. C’était en 1989, une époque où il était encore facile d’emprunter des documents auprès des ayants droit de Hergé. L’éditeur, Rombaldi, a depuis fermé boutique. Le livre est devenu introuvable.
« Hergé, Fils de Tintin« , de Benoît Peeters, Flammarion, 2002.
Intéressant de découvrir aujourd’hui encore, des aspects cachés de l’oeuvre d’Hergé, des projets inaboutis, des recherches et des esquisses inconnues, des trésors cachés, qui donnent encore plus d’épaisseur et de profondeur à la carrière professionnelle d’Hergé qui est aussi sa vie.
En bonus, un dessin que j’ai réalisé en 2007 pour un colloque qui marquait les 100 ans de la naissance d’Hergé et qui s’est tenu à Mishkenot Shaananim à Jérusalem.
Enfant, j’ai adore Tintin et je dois avoir devore tous les albums de l’epoque (’50 jusqu’au debut des annes ’60) plusieurs fois,
mais en prenant de l’age, j’ai vite compris que Herge avait trempe dans la collaboration et que ca ne devait pas non plus etre un grand ami des Juifs. Voila pourquoi je ne supporte aucun eloge a son sujet, bien qu’il soit toujours venere par une frange importante de la population belge et etrangere.
Tu sais Maurice, sa collaboration au sens propre du terme, est un sujet à polémique et pas un fait accompli. Et pour moi, être ou non un ami des juifs ne peut pas être un critère d’évaluation d’une oeuvre. Par contre être un antisémite avéré et fier de l’être, est une autre paire de manche, et je ne pense pas que ce soit le cas d’Hergé. J’ai lu 2 des 4 biographies importantes qui lui ont été consacrées, dont une écrite par Pierre Assouline, et ni l’étiquette de collaboration ni celle d’antisémitisme ne peut lui être collée. En tout cas elles ne peuvent pas caractériser pas son oeuvre. Etre ami des juifs ne fait pas d’un créateur un bon créateur, le contraire est tout aussi valable. Hergé a commencé sa vie comme boy scout catho mais il a eu une évolution singulière sur le plan spirituel au cours de sa vie.
Slalom Mchel
Merci pour ton article que beaucoup
d’ entre nous en ignorait le contenu.
…..
Je te souhaite une bonne semaine qui pour nous en Belgique ,ce mardi, débutera par notre Fête Nationale et où j’ aurai le très grand plaisir de retrouvé Henri.
Bien le meilleur à toi et mon bonjour très amical de ma part à Jerusalem
Merci Marc! Et bonne fête nationale!
Bonjour, pas encore d’ipod en 1997, Hergé a eu cent ans en 2007 😉
Corrigé! Merci.